CHAPITRE III
Lou Montoya se retourna en direction de l'appel.
Sur le perron de la villa, Marianne lui faisait un geste du bras en criant. Il perçut le mot « téléphone », abandonna à regret le hamac tendu entre les troncs de deux pins parasols, remonta d'un pas souple l'allée de terre où le soleil, filtré par les ramures, dessinait de mouvants motifs sur le sol blond.
— Le Centre, murmura la jeune femme quand il parvint à la maison.
Il eut une moue et soupira. Un pressentiment. Plus que cela. A cet instant, il aurait été prêt à parier n'importe quoi qu'ils allaient devoir écourter leurs vacances de quelques jours...
Dommage ! II s'était bien habitué à ce doux farniente. Les jours, les semaines avaient filé vite, trop vite.
Le Centre, les pistes, les salles de contrôle et leurs calculatrices électroniques, tout cela lui paraissait tellement loin qu'il s'était même surpris à oublier les deux êtres qui étaient partis pour un voyage vers un espace où l'homme n'avait encore jamais pénétté.
ieL'appareil était dans le hall.
Ce ne fut qu'en se saisissant du combiné •qu'il réalisa pleinement tout ce que cet appel avait d'insolite, d'inquiétant.
•Certes, la capsule qu'occupaient Born et Parker était maintenant assez proche de la Terre. Elle n'avait pourtant pas encore amorcé la phase finale, celle au cours de laquelle l'engin tournerait autour de la Terre en perdant de la vitesse et en s'en rapprochant à chaque tour. Il manquait cinq jours avant le vrai retour. Lou Montoya avait prévu de rejoindre le Centre quarante-huit heures avant la date prévue.
Il approcha l'écouteur de son oreille, dit : A la même seconde, il se revit le jour où il avait quitté le Centre pour des vacances bien gagnées, s'entendit donner des instructions à ses assistants : lui adresser le rapport de Monfort et un compte rendu détaillé des observations faites depuis les divers centres et points de surveillance cosmique...
Après, il voulait la paix !... Ne le contacter que pour un motif sérieux...
Elle s'était immobilisée sur le seuil. Sa silhouette gracieuse se découpait à contre-jour sur Je fond ensoleillé de la terrasse. Elle le regardait hocher doucement la tête, l'écoutait marmonner quelques monosyllabes qui n'étaient parfois que de vagues grognements pour signifier à son interlocuteur qu'il l'entendait, avait compris, l'invitait à poursuivre.
—Incompréhensible, en effet, dit-ii enfin.
La seule explication serait une avarie de leurs émetteurs...
Il s'interrompit, approuva : —Oui, difficile à admettre ! Un matériel qui n'a jamais eu la moindre défaillance... En outre, il est impensable que les deux émetteurs du bord aient pu tomber en panne en même temps... Comment 7... Oui, insistez, bien sûr.
Emettez en permanence l'indicatif d'entrée en communication... Oui, je vous rejoins au plus vite.
Lou raccrocha, se retourna vers la jeune femme.
Elle sourit.
—De toute façon, dit-elle, nos vacances étaient presque terminées...
Montoya eut un geste vague, aussi agacé que fataliste.
p— Que se passe-t-il ? ajouta Marianne.
Lou Montoya soupira, essaya d'adopter un ton plus enjoué pour répondre : — Un impondérable ! Probablement rien de très grave. On s'expliquera sans doute très simplement le phénomène dès qu'on aura récupéré la capsule... Quoi qu'il en soit, il est impossible d'entrer en liaison avec Born et Parker...
Marianne l'avait rejoint. D'un même pas, ils se dirigeaient vers l'escalier qui conduisait aux chambres. Il fallait penser aux valises. D'ailleurs, à quoi bon s'attarder ?
Le Centre émet, et reçoit en écho le signal indiquant que les appareils de l'Alliance-6 reçoivent les messages, qu'ils fonctionnent apparemment d'une manière normale. La capsule n'est donc nullement trop loin pour qu'un contact puisse être établi. Mais personne ne répond...
La jeune femme eut un léger sursaut, murmura, la voix altérée : — Tu ne penses pas que 7...
— Non, l'interrompit Montoya. Parker et Boni doivent nécessairement contrôler certaines manoeuvres, effectuer certaines modifications au cours de la trajectoire d'approche...
Or, tout semble prouver que la capsule suit exactement le plan de vol prévu, ce qui implique que ces manœuvres sont faites... Ils sont vivants... Mais ils ne répondent pas, n'émettent rien, aucun message... C'est là tout le mystère !
Ils gravirent rapidement les degrés.
— C'est incompréhensible, répéta Lou Montoya, comme il l'avait reconnu quelques instants plus tôt au téléphone, et je me demande d'ailleurs ce que mon retour au Centre changera à l'aspect du problème si Born et Parker s'entêtent à jouer les sourdsmuets L.
jef Parker passa une main lasse dans sa tignasse brune.
Il avait répété ce geste tant de fois au cours des quelques dernières heures qu'il était tout ébouriffé. Il se gratta furieusement le crâne, repoussa sur sa nuque le casque du scaphandre qui était retenu seulement par les attaches arrière et avait tendance à rouler sur son épaule droite.
Qu'est-ce qu'ils peuvent bien f... ! s'exclama-t-il pour la centième fois.
Born tourna légèrement la tête vers son compagnon, répondit simplement : La sieste !
Parker haussa les épaules, excédé, jura entre ses dents.
— Laisse tomber, lui conseilla placidement Valéry Born.
jef eut de nouveau un mouvement d'humeur.
Je n'y comprends rien, bougonna-t-il.
Leur émetteur fonctionne sur la bonne fréquence...
— Et le nôtre aussi, le coupa Born. On le sait ! N'empêche que cet appareil est muet comme une carpe !...
Il s'interrompit, pour reprendre quelques secondes plus tard d'un ton plus amical, encourageant: — Ne te tracasse pas pour ça, Id, nous arrivons ! Nous n'avons besoin de personne pour poser la capsule dans l'Atlantique. Nous le ferons bien sans avoir, au préalable, eu des nouvelles de leur petite santé à tous !
jef Parker se pencha de nouveau vers l'émetteur-récepteur.
Born avait raison, pensa-t-il. Mais il avait malgré tout bougrement envie d'entendre des voix connues, la voix des siens, après tant de jours passés dans l'habitacle réduit de l'Alliance-6, avec pour seule compagnie celle de Born, dont l'indifférence railleuse et parfois un peu forcée lui mettait souvent les nerfs à rude épreuve.